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de minuscules scalpels, ouvrait délicatement la fleur, en étalait sous l’objectif tous les organes et m’appelait pour me faire remarquer telle particularité des étamines ou je ne sais quoi dont ne parlait pas sa « flore » et qu’avait signalé M. Bureau.

C’est à la Roque surtout, où Anna nous accompagnait tous les étés, que se manifestait dans son plein son activité botanique et que s’alimentait l’herbier. Nous ne sortions jamais, elle ni moi, sans notre boîte verte (car moi aussi j’avais la mienne) et une sorte de truelle cintrée, un déplantoir, qui permettait de s’emparer de la plante avec sa racine. Parfois on en surveillait une de jour en jour ; on attendait sa floraison parfaite, et c’était un vrai désespoir quand, le dernier jour, parfois, on la trouvait à demi broutée par des chenilles, ou qu’un orage tout à coup nous retenait à la maison.

À la Roque l’herbier régnait en seigneur ; tout ce qui se rapportait à lui, on l’accomplissait avec zèle, avec gravité, comme un rite. Par les beaux jours, on étalait aux rebords des fenêtres, sur les tables et les planchers ensoleillés, les feuilles de papier gris entre