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connaître qu’un reflet lointain de l’amour, ne devait avoir d’autre famille que celle que lui prêtaient mes parents.

Le souvenir que j’ai gardé d’elle me la représente les traits un peu durcis déjà par l’âge, la bouche un peu sévère, le regard seul encore plein de sourire, un sourire qui pour un rien devenait du rire vraiment, si frais, si pur qu’il semblait que ni les chagrins ni le déboires n’eussent pu diminuer en elle l’amusement extrême que l’âme prend naturellement à la vie. Mon père avait, lui aussi, ce même rire, et parfois Mademoiselle Shackleton et lui entraient dans des accès d’enfantine gaîté, auxquels je ne me souviens pas que s’associât jamais ma mère.

Anna (à l’exception de mon père qui l’appelait toujours : Mademoiselle Anna, nous l’appelions tous par son prénom, et même je disais : « Nana », par une puérile habitude que je conservai jusqu’à l’annonce du livre de Zola auquel ce nom servait de titre) — Anna Shackleton portait une sorte de coiffe d’intérieur en dentelle noire, dont deux bandeaux tombaient de chaque côté de son visage et l’encadraient assez