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sans cesse et s’effaçait chaque fois qu’il aurait fallu briller ; mais encore ne perdait-elle pas une occasion de pousser en avant Mademoiselle Anna, pour qui, presque aussitôt, elle s’était éprise d’une amitié très vive. Juliette ne supportait pas d’être la mieux mise ; tout la choquait, de ce qui marquait sa situation, sa fortune, et les questions de préséance entretenaient une lutte continuelle avec sa mère et avec Claire sa sœur aînée.

Ma grand’mère n’était point dure, assurément ; mais, sans être précisément entichée, elle gardait un vif sentiment des hiérarchies. On retrouvait ce sentiment chez sa fille Claire, mais qui n’avait pas sa bonté ; qui même n’avait pas beaucoup d’autres sentiments que celui-là, et s’irritait à ne le retrouver point chez sa sœur ; elle rencontrait, à la place, un instinct, sinon précisément de révolte, du moins d’insoumission, qui sans doute n’avait pas existé de tout temps chez Juliette, mais qui s’éveillait. semblait-il, à la faveur de son amitié pour Anna. Claire pardonnait mal à Anna cette amitié que lui avait vouée sa sœur ; elle estimait que l’amitié comporte des