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mystère ; je sentais que j’eusse empêché tout net ce que j’eusse essayé de surprendre ; assurément j’étais trop jeune encore, et ma mère me répétait trop souvent, et à propos de trop de choses : « Tu comprendras plus tard » — mais certains soirs, en m’abandonnant au sommeil, il me semblait vraiment que je cédais la place.

Je reviens à la rue de M….

Au second étage, à l’extrémité d’un couloir sur lequel ouvrent les chambres, se trouve la salle d’étude, plus confortable, plus intime que les grands salons du premier, de sorte que ma mère s’y tient et m’y retient de préférence. Une grande armoire formant bibliothèque en occupe le fond. Les deux fenêtres ouvrent sur la cour ; l’une d’elles est double et, entre les deux châssis, fleurissent dans des pots, sur des soucoupes, des crocus, des hyacinthes et des tulipes « du duc de Tholl ». Des deux côtés de la cheminée, deux grands fauteuils de tapisserie, ouvrage de ma mère et de mes tantes ; dans l’un d’eux ma mère est assise. Mademoiselle Shackleton, sur une chaise de reps grenat et d’acajou, près de la table, s’occupe à un ouvrage de broderie sur filet.