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telle importance. De là ce besoin inconscient de le reculer à l’excès afin que le magnifiât la distance.

Il en est de même de ce bal, rue de Crosne, que ma mémoire s’est longtemps obstinée à placer du temps de ma grand’mère — qui mourut en 73, alors que je n’avais pas quatre ans. — Il s’agit évidemment d’une soirée que mon oncle et ma tante Henri donnèrent trois ans plus tard, à la majorité de leur fille :

Je suis déjà couché, mais une singulière rumeur, un frémissement du haut en bas de la maison, joints à des vagues harmonieuses, écartent de moi le sommeil. Sans doute ai-je remarqué, dans la journée, des préparatifs. Sans doute l’on m’a dit qu’il y aurait un bal ce soir-là. Mais, un bal, sais-je ce que c’est ? Je n’y avais pas attaché d’importance et m’étais couché comme les autres soirs. Mais cette rumeur à présent… J’écoute ; je tâche de surprendre quelque bruit plus distinct, de comprendre ce qui se passe. Je tends l’oreille. À la fin, n’y tenant plus, je me lève, je sors de la chambre à tâtons dans le couloir sombre et, pieds nus, gagne l’escalier plein de