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Ma mère à qui, plus tard, j’en reparlai, me persuada que d’abord, en ce temps, j’étais beaucoup trop jeune pour en avoir gardé quelque souvenir que ce soit ; qu’au surplus jamais un Rouennais, ou en tout cas aucun de ma famille, ne se serait mis au balcon pour voir passer fût-ce Bismark ou le roi de Prusse lui-même, et que si les Allemands avaient organisé des cortèges, ceux-ci eussent défilé devant des volets clos. Certainement mon souvenir devait être des « retraites aux flambeaux » qui, tous les samedis soir remontaient ou descendaient la rue de M… après que les Allemands avaient depuis longtemps déjà vidé la ville.

— C’était là ce que nous te faisions admirer du balcon, en te chantant, te souviens-tu :

Zim laï la ! Zim laï la !
Les beaux militaires !

Et soudain je reconnaissais aussi la chanson.

Tout se remettait à sa place et reprenait sa proportion. Mais je me sentais un peu volé ; il me semblait que j’étais plus près de la vérité d’abord, et que méritait bien d’être un évènement historique ce qui devant mes sens tout neufs se douait d’une