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jusqu’à la fin de sa vie si, au début de l’affaire Dreyfus, 1l n’avait eu le courage unique de voter contre son parti (c’est dire qu’il était de la droite). Extrêmement bon et honnête, il manquait un peu de caractère, d’étoffe, ou enfin de je ne sais quoi qui lui eût permis de présider autrement que par l’âge et qu’en apparence, à cette table de famille nombreuse où les éléments les plus jeunes n’étaient pas toujours les plus soumis ; mais l’excellent homme avait déjà de la peine à faire figure suffisante aux côtés de sa femme, dont la supériorité l’exténuait. Madame de R… était du reste très calme, très douce et suffisamment prévenante ; rien dans le ton de sa voix ou dans ses manières ne cherchait à imposer ; mais, sans dire peut-être des choses bien neuves ou bien profondes, elle ne parlait jamais pour ne rien dire et n’exprimait jamais rien que de sensé (j’ajoute à mes souvenirs d’enfant d’autres souvenirs plus récents) de sorte que l’ascendant était réel qu’elle exerçait sur tous comme une naturelle souveraineté. Il ne me paraît pas que ses traits rappelassent beaucoup ceux de M. Ch… ; mais elle avait été sa secrétaire, la confidente de sa pensée,