Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/272

Cette page n’a pas encore été corrigée

sur lui comme talisman. J’enfermai mon demi-fleuron dans un petit sachet brodé que je suspendis à mon cou à la façon d’un scapulaire et que je gardai ainsi contre ma poitrine jusqu’à ma première communion.

Si passionnée que fût notre liaison, il ne s’y glissait de sensualité pas la moindre. Lionel, d’abord, était richement laid ; puis sans doute éprouvais-je déjà cette inhabileté foncière à mêler l’esprit et les sens, qui je crois m’est assez particulière, et qui devait bientôt devenir une des répugnances cardinales de ma vie. De son côté, Lionel, en digne petit-fils de Ch…., affichait des sentiments à la Corneille. Certain jour de départ, comme je m’approchais pour une accolade fraternelle, 1l me repoussa à bras tendus et, solennel :

— Non ; entre eux, les hommes ne s’embrassent pas !

Il avait un amical souci de m’introduire davantage dans sa vie et dans la coutume de sa famille. J’ai dit qu’il était orphelin ; Blancmesnil appartenait alors à son oncle, également gendre de Ch…., les deux frères de R… ayant épousé les deux sœurs. Monsieur de R… était député, et le fût resté