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dessus du pressoir, par où l’on fait crouler les pommes ; on inventait, poursuivi, mainte acrobatie… Mais si passionnante que fût la poursuite, peut-être le contact avec les biens de la terre, les plongeons dans l’épaisseur des récoltes, et les bains d’odeurs variées, faisaient-ils le plus vrai du plaisir. O parfum des luzernes séchées, âcres senteurs de la bauge aux pourceaux, de l’écurie ou de l’étable ! effluves capiteux du pressoir, et là, plus loin, entre les tonnes, ces courants d’air glacé où se mêle aux relents des futailles, une petite pointe de moisi. Oui, j’ai connu plus tard l’enivrante vapeur des vendanges, mais, pareil à la Sulamite qui demandait qu’on la soutînt avec des pommes, c’est l’éther exquis de celles-ci que je respire, de préférence à la douceur obtuse du moût. Lionel et moi, devant l’énorme tas de blé d’or qui s’effondrait en pentes molles sur le plancher net du grenier, nous mettions bas nos vestes, puis, les manches haut relevées, nous enfonçions nos bras jusqu’à l’épaule et sentions entre nos doigts ouverts glisser les menus grains frais.

Nous convînmes un jour de nous aménager, chacun séparément et secrètement, une