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C’est à La Roque qu’était allée maman ; une épidémie de fièvre typhoïde s’était déclarée sur une de nos fermes, et maman ne l’avait pas plus tôt appris, qu’elle était partie pour soigner les malades, estimant qu’il était de son devoir de le faire, puisque ces gens étaient ses fermiers. Ma tante Claire avait essayé de la retenir, disant qu’avant de se devoir à ses fermiers, elle se devait à son fils ; qu’elle risquait beaucoup, pour n’être que d’un secours très médiocre ; et ce que ma tante aurait pu ajouter, c’est que ces gens, assez neufs sur la ferme, butés, rapaces, étaient incapables à tout jamais d’apprécier un geste désintéressé comme celui de ma mère. Albert et moi faisions chorus, très alarmés, car déjà deux des gens de la ferme étaient morts. Conseils, objurgations, rien n’y fit : ce que maman reconnaissait pour son devoir, elle l’accomplissait contre vents et marées. S’il n’y paraissait pas toujours nettement, c’est qu’elle avait encombré sa vie de maintes préoccupations adventices, de sorte que l’idée de devoir, souvent, se brésillait chez elle en un tas de menues obligations.

Ayant à parler souvent de ma mère, je