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nous offraient d’arrangements à quatre mains.

J’étais devenu à peu près de sa force, ce qui n’était du reste pas beaucoup dire, mais ce qui nous permettait de goûter ensemble des joies musicales qui sont restées parmi les plus vives et les plus profondes que j’aie connues.

Tout le temps que nous jouions, ces dames n’arrêtaient pas de causer ; leurs voix s’élevaient à la faveurd en os fortissimos ; mais dans les pianissimos, hélas ! elles ne baissaient guère et nous souffrions beaucoup de ce défaut de recueillement. Il ne nous arriva que deux fois de pouvoir jouer dans le silence, et ce fut un ravissement. Maman m’avait laissé pour quelques jours, dans les circonstances que je vais dire, et Albert, deux soirs de suite, avait eu la gentillesse de venir dîner avec moi ; a-t-on compris ce qu’était pour moi mon cousin, on comprendra du même coup quelle fête ce put être de l’avoir ainsi pour moi tout seul, et qui n’était venu que pour moi. Nous prolongeâmes la soirée fort avant dans la nuit, et nous jouâmes si suavement que les anges dûrent entendre.