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changeais de professeur, et je doutais si, avec ce diable d’homme… Il avait de bizarres principes ; celui-ci, par exemple : que le doigt, sur la touche ne doit jamais demeurer immobile ; il feignait que ce doigt continuât de disposer de la note, comme fait le doigt du violoniste ou l’archet qui porte sur la corde vibrante elle-même, et se donnait ainsi l’illusion d’en grossir ou d’en diminuer le son et de le modeler à son gré, suivant qu’il enfonçait ce doigt plus avant sur la touche ou au contraire le ramenait à lui. C’est là ce qui donnait à son jeu cet étrange mouvement de va et vient par quoi il avait l’air de malaxer la mélodie.

Ses leçons prirent fin brusquement sur une scène affreuse. Voici ce qui la motiva : Schifmacker était corpulent, je l’ai dit. Ma mère, craignant pour les petites chaises du salon, et que leur complexion délicate s’accomodât mal d’un tel poide, avait été chercher dans l’antichambre un robuste siège, hideux, recouvert de molesquine et qui jurait étrangement avec le mobilier du salon. Elle mit ledit siège à côté du piano, et écarta les autres, « pour qu’il comprît bien où il devait s’asseoir, » disait-elle. La