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nous exposa son système. C’était un gros vieux homme ardent, essoufflé, qui rougeoyait comme une forge, qui bredouillait, sifflait et postillonnait en parlant. On eût dit qu’il était sous pression et laissait échapper sa vapeur. Il portait les cheveux en brosse et des favoris ; tout cela, blanc de neige, avait l’air de fondre sur sa face qu’il lui fallait sans cesse éponger. Il disait :

— Les autres professeurs, qu’est-ce qu’ils racontent ? Faut faire des exercices, des exercices, et patati, et patata. Mais est-te que j’en ai fait, moi, des exercices ? Laissez-moi donc tranquille ! On apprend à jouer en jouant. C’est comme pour parler. Voyons ! vous qui êtes raisonnable, Madame, est-ce que vous accepteriez que chaque matin on fit faire à votre enfant des exercices de langue, sous prétexte qu’il aura à se servir de sa langue dans la journée : ra, ra, ra, ra, gla, gla, gla, gla. (Ici ma mère, positivement terrifiée par l’humide exubérance de Schifmacker reculait sensiblement son fauteuil ; l’autre approchait le sien d’autant.) — Qu’on ait la langue bien ou mal pendue, ce qu’on dit, c’est ce qu’on a à dire, et au piano on a toujours assez de doigts pour exprimer