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mots partaient en sifflant, chassés par une furia comprimée. Maman tremblait un peu devant elle, et lorsqu’elle servait à table on attendait qu’elle fût sortie pour dire :

— J’ai beau le répéter à Désirée (c’est à ma tante Claire que la phrase s’adressait) sa mayonnaise est encore trop vinaigrée.

Désirée avait succédé à Delphine, l’ex-passion de Marie ; mais quelle qu’eût été la cuisinière, Marie aurait pris toujours son parti. Alors, le lendemain, comme je sortais avec elle :

— Tu sais, Marie, — commençais-je, à la manière des plus vilains cafards — si Désirée ne veut pas écouter ce que lui dit maman, je ne sais pas si nous pourrons la garder. — (C’était aussi pour faire l’important.) — Sa mayonnaise, hier…

— Était encore trop vinaigrée, je sais, interrompait Marie, d’un air vengeur. Elle pinçait les lèvres, retenait son ire un instant, puis, quand la pression était devenue assez forte, on entendait jaillir :

— Allez ! Vous êtes des fins-becs.


Marie n’était pas réfractaire à toute émotion esthétique ; mais chez elle, comme