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blanc peignoir, s’asseyait, bien au jour, devant la fenêtre. En face d’elle, et de manière qu’elle s’y pût mirer, Marie dressait une glace ovale échassière, articulée, montée sur tige de métal à trépied, qui se haussait à volonté ; un minuscule plateau rond ceinturait la tige, sur lequel peignes et brosses étaient posés. Ma mère, alternativement, lisait trois lignes du Temps de la veille au soir, qu’elle tenait en main, puis regardait dans le miroir. Elle y voyait le dessus de sa tête et la main de Marie armée du peigne ou de la brosse, qui sévissait ; quoi que fit Marie, c’était avec l’apparence de la fureur.

— Oh ! Marie, que vous me faites mal ! geignait ma mère.

Je lisais, vautré dans un des deux grands fauteuils qui, de droite et de gauche, encombraient les abords de la cheminée, (mastodontesques fauteuils de velours grenat, dont la monture et la forme même se dissimulaient sous l’intumescence du capiton). Je levais un instant les yeux vers le beau profil de ma mère ; ses traits étaient naturellement graves et doux, un peu durcis occasionnellement par la blancheur crue du peignoir et par la résistance qu’elle opposait,