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m’émouvoir. J’eus enfin l’idée de demander à Abel s’il n’avait pas un portrait de sa sœur, ce qui m’épargnait tout mensonge et cependant pouvait passer pour un témoignage d’intérêt. Avec une hâte bégayante, il tira de son portefeuille une photographie :

— Comme elle vous ressemble ! m’écriai-je.

— Oh ! n’est-ce pas ! fit-il dans une jubilation subite. J’avais dit ce mot sans intention, mais il y trouvait plus de réconfort que dans une protestation d’amitié.

— Maintenant vous savez tous mes secrets, reprit-il, après que je lui eus rendu l’image. Vous me raconterez les vôtres, n’est-ce pas ?

Déjà, tout en lisant les lettres de sa sœur, j’avais distraitement évoqué Emmanuèle. Auprès de ces tristesses désenchantées, de quel rayonnement se nimbait le beau visage de mon amie ! Le vœu que j’avais fait de lui donner tout l’amour de ma vie ailait mon cœur où foisonnait la joie ; d’indistinctes ambitions déjà tout au fond de moi s’agitaient, mille velléités confuses ! chants, rires, danses et bondissantes harmonies formaient cortège à mon amour… À la