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— Ce sera pour demain, dit-il avec résignation.

Le jour suivant il me fit monter dans sa chambre. J’y vis deux lits ; mais un restait inoccupé depuis le départ d’Edmond Richard. Abel, sans un mot, se dirigea vers une armoire de poupée, qui se trouvait sur une table, l’ouvrit avec une clef qu’il portait pendue à sa chaîne de montre ; il sortit de là une douzaine de lettres ceinturées d’une faveur rose, dont il défit le nœud ; puis, me tendant le paquet :

— Tenez ! Vous pouvez toutes les lire, fit-il avec un grand élan.

À dire vrai, je n’en avais aucun désir. L’écriture de toutes ces lettres était la même ; une écriture de femme, déliée, égale, banale, pareille à celle des comptables ou des fournisseurs, et dont le seul aspect eût glacé la curiosité. Mais je ne pouvais me dérober ; il fallait lire ou mortifier Abel cruellement.

J’avais pu croire à des lettres d’amour ; mais non : c’étaient des lettres de sa sœur, la pâtissière de Guéret ; de pauvres lettres éplorées, lamentables où il n’était question que de traites à payer, de termes échus,