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déjeuner qu’à partir de ce jour le cadenas resterait mis, dont Madame Bertrand garderait la clef, et qu’elle ne me prêterait cette clef qu’une fois par jour, à quatre heures, à la récréation du goûter. Madame Bertrand arrivait à la rescousse chaque fois qu’il y avait lieu de prendre une initiative ou d’exercer une sanction. Elle parlait alors avec calme, douceur même, mais grande fermeté. En m’annonçant cette décision terrible, elle souriait presque. Je me gardai de protester ; mais c’est que j’avais déjà mon idée : Ces petits cadenas à bon marché ont tous des clefs semblables ; j’avais pu le constater l’autre jour tandis que Monsieur Richard en choisissait un. Avec les quelques sous que j’entendais tinter dans ma poche… sitôt après le déjeuner, m’échappant, je courus au bazar.

Je proteste qu’il n’y avait place en mon cœur pour aucun sentiment de révolte. Jamais, alors ou plus tard, je n’ai pris plaisir à frauder. Je prétendais jouer avec Madame Bertrand, non la jouer. Comment l’amusement que je me promettais de cette gaminerie put-il m’aveugler à ce point sur le caractère qu’elle risquait de prendre à ses