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son cœur qui parlât. Elle était de santé médiocre, maigre, au visage pâle et tiré ; très douce, elle s’effaçait sans cesse devant son mari, devant sa sœur, et c’est assurément pourquoi je n’ai conservé d’elle qu’un souvenir indistinct ; tandis qu’au contraire, Madame Bertrand, solide, affirmative et décidée, a su graver ses traits dans ma mémoire. Elle avait une fille, de quelques années plus jeune que moi, qu’elle tenait précautionneusement à l’écart de nous tous, et qui, à ce qu’il me semblait, souffrait un peu de l’excès d’autorité de sa mère. Yvonne Bertrand était délicate, chétive presque, et comme réduite par la discipline ; même quand on la voyait sourire, elle avait toujours l’air d’avoir pleuré. Elle ne paraissait guère qu’aux repas.

Les Richard avaient deux enfants ; une fillette de dix-huit mois, que je considérais avec stupeur depuis le jour où, dans le jardin, je lui avais vu manger de la terre, au grand amusement du petit Blaise, son frère, chargé de la surveiller, bien qu’il ne fût âgé lui-même que de cinq ans.

Tantôt seul, tantôt avec M. Richard, je travaillais dans une petite orangerie, si j’ose