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table de mon père sur laquelle j’étais juché, les jambes ballantes, un peu gêné par ses propos et d’être assis plus haut que lui. À l’autre extrémité de la pièce, ma tante et ma mère travaillaient un grabuge ou un bezigue, avec Anna qui était venue dîner ce soir-là. Albert parlait à demi-voix, de manière à n’être pas entendu par ces dames ; après qu’il eût achevé de parler, je pris sa grosse main dans les miennes et demeurai sans rien dire, assurément plus ému par la beauté de son cœur que convaincu par ses raisons. Du moins devais-je me rappeler ses paroles, plus tard, lorsque je fus mieux éduqué pour les comprendre.


L’idée de déménager m’exaltait immensément et l’amusement que je me promettais de la mise en place des meubles ; mais ce déménagement s’effectua sans moi. À notre retour de Cannes, maman m’avait mis en pension chez un nouveau professeur ; ce dont elle espérait plus de profit pour moi, plus de tranquillité pour elle. Monsieur Richard, à qui je fus confié, avait eu le bon goût de se loger à Auteuil ; ou peut-être était-ce parce que logé à Auteuil,