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raisonnais là-dessus, à treize ans, comme un idéologue, comme un enfant et comme un sot. J’avais dû déclarer, pendant le dîner, qu’en 70 « si j’avais été la France » je ne me serais sûrement pas défendu — ou quelque ânerie de ce genre ; et que du reste j’avais horreur de tout ce qui est militaire. C’est là ce qu’Albert avait jugé nécessaire de relever.

Il le fit sans protestations, ni grandes phrases, mais simplement en me racontant l’invasion et tous ses souvenirs de soldat. Il me dit égale à la mienne son horreur de la force qui provoque, mais que, pour cela même, il aimait celle qui défend, et que la beauté du soldat venait de ce qu’il ne se défendait pas pour lui-même, mais bien pour protéger les faibles qu’il sentait menacés. Et, tandis qu’il parlait, sa voix devenait plus grave et tremblait :

— Alors tu penses qu’on peut de sang froid laisser insulter ses parents, violer ses sœurs, piller son bien… ? et l’image de la guerre certainement passait devant ses yeux que je voyais s’emplir de larmes, bien que son visage fût dans l’ombre. Il était dans un fauteuil bas, tout près de la grande