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crus si fidèles ! Mes nièces s’amusent de mon désarroi ; mais, devant ces bouleversements, j’éprouve une secrète tristesse, comme lorsqu’on retrouve pères de famille d’anciens amis qu’on imaginait devoir toujours rester garçons.


L’autre souvenir est celui d’une conversation avec Albert Démarest. Quand nous étions à Paris, il venait dîner chez nous une fois par semaine, avec sa mère. Après dîner, ma tante Claire s’installait avec maman devant une partie de cartes ou de jacquet ; Albert et moi nous nous mettions au piano, d’ordinaire. Mais, ce soir-là, la causerie l’emporta sur la musique. Qu’avais-je pu dire pendant le dîner, je ne sais plus, qui parût à Albert mériter d’être relevé ? Il n’en fit rien devant les autres et attendit quelle repas fût achevé ; mais, sitôt après, me prenant à part…

J’avais pour Albert, à cette époque déjà, une espèce d’adoration ; j’ai dit de quelle âme je pouvais boire ses paroles, surtout lorsqu’elles allaient à l’encontre de mon penchant naturel ; c’est aussi qu’il ne s’y opposait que rarement et que je le trouvais