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Le second tressaillement est plus bizarre encore : c’était quelques années plus tard, peu après la mort de mon père ; c’est-à-dire que je devais avoir onze ans. La scène de nouveau se passa à table, pendant un repas du matin ; mais, cette fois, ma mère et moi nous étions seuls. J’avais été en classe ce matin-là. Que s’était-il passé ? Rien, peut-être… Alors pourquoi tout à coup me décomposai-je et,tombant entre les bras de maman, sanglotant, convulsé, sentis-je à nouveau cette angoisse inexprimable, la même exactement que lors de la mort de mon petit cousin. On eût dit que brusquement s’ouvrait l’écluse particulière de je ne sais quelle commune mer intérieure inconnue dont le flot s’engouffrait démesurément dans mon cœur ; j’étais moins triste qu’épouvanté ; mais comment expliquer cela à ma mère qui ne distinguait, à travers mes sanglots, que ces confuses paroles que je répétais avec désespoir :

— Je ne suis pas pareil aux autres ! Je ne suis pas pareil aux autres !


Deux autres souvenirs se rattachent encore à l’appartement de la rue de Tour-