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l’excès les ténèbres où patientait mon enfance ; c’est-à-dire que je n’ai pas su parler de deux éclairs, deux sursauts étranges qui secouèrent un instant ma nuit. Les eussé-je racontés plus tôt, à la place qu’il eût fallu pour respecter l’ordre chronologique, sans doute se fût expliqué mieux le bouleversement de tout mon être, ce soir d’automne, rue de Lecat, au contact de l’invisible réalité.

Le premier me reporte loin en arrière ; je voudrais préciser l’année ; mais tout ce que je puis dire, c’est que mon père vivait encore. Nous étions à table ; Anna déjeunait avec nous. Mes parents étaient tristes parce qu’ils avaient appris dans la matinée la mort d’un petit enfant de quatre ans, fils de nos cousins Widmer ; je ne connaissais pas encore la nouvelle, mais je la compris à quelques mots que ma mère dit à Nana. Je n’avais vu que deux ou trois fois le petit Emile Widmer et n’avais point ressenti pour lui de sympathie bien particulière ; mais je n’eus pas plus tôt