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Tandis que Marie lisait ou tricotait non loin, je restais ainsi, durant des heures, sans souci du soleil, contemplant inlassablement le lent travail rotatoire d’un oursin pour se creuser une alvéole, les changements de couleur d’une pieuvre, les tâtonnements ambulatoires d’une actinie, et des chasses, des poursuites, des embuscades, un tas de drames mystérieux qui me faisaient battre le cœur. Je me relevais d’ordinaire de ces stupeurs, ivre et avec un violent mal de tête. Comment eût-il été question de travail ?

Durant tout cet hiver, je n’ai pas souvenir d’avoir ouvert un livre, écrit une lettre, appris une leçon. Mon esprit restait en vacances aussi complètement que mon corps. Il me paraît aujourd’hui que ma mère aurait pu profiter de ce temps pour me faire apprendre l’anglais par exemple ; mais c’était là une langue que mes parents se réservaient pour dire devant moi ce que je ne devais pas comprendre ; de plus j’étais si maladroit à me servir du peu d’allemand que Marie m’avait appris, que l’on jugeait prudent de ne pas m’embarrasser davantage. Il y avait bien dans le salon un piano, fort médiocre, mais sur lequel j’aurais pu