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ner aux îles de Lérins. Il n’était pas besoin de s’écarter beaucoup du débarcadère, à Sainte-Marguerite où nous allions de préférence, pour trouver, à l’abri du ressac, des criques profondes que l’érosion du roc divisait en multiples bassins. Là, coquillages, algues, madrépores déployaient leurs splendeurs avec une magnificence orientale. Le premier coup d’œil était un ravissement ; mais le passant n’avait rien vu, qui s’en tenait à ce premier regard : pour peu que je demeurasse immobile, penché comme Narcisse au dessus de la surface des eaux, j’admirais lentement ressortir de mille trous, de mille anfractuosités du roc, tout ce que mon approche avait fait fuir. Tout se mettait à respirer, à palpiter ; le roc même semblait prendre vie et ce qu’on croyait inerte commençait timidement à se mouvoir ; des êtres translucides, bizarres, aux allures fantasques, surgissaient d’entre le lacis des algues ; l’eau se peuplait ; le sable clair qui tapissait le fond, par places, s’agitait, et, tout au bout de tubes ternes, qu’on eût pris pour de vieilles tiges de jonc, on voyait une frêle corolle, craintive encore un peu, par petits soubresauts s’épanouir.