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premier que je vis, j’eus un transport ; j’étais seul ; il me fallut courir aussitôt annoncer l’événement à ma mère et à Anna, et comme Je n’avais pu rapporter la moindre brindille, les frondaisons fleuries restant hors de prise, je n’eus de cesse que je n’eusse entraîné Anna au pied de l’arbre de merveilles. Elle dit alors :

— C’est un eucalyptus ; un arbre importé d’Australie — et elle me fit observer le port des feuilles, la disposition des ramures, la caducité de l’écorce…

Un charriot passa ; un gamin haut perché sur des sacs cueillit et nous jeta un rameau couvert de ces fleurs bizarres qu’il me tardait d’examiner de près. Les boutons, couleur vert-de-gris, que couvrait une sorte de pruine résineuse, avaient l’aspect de petites cassolettes fermées ; on aurait cru des graines, n’eût été leur fraîcheur ; et soudain le couvercle d’une de ces cassolettes cédait, soulevé par un bouillonnement d’étamines ; puis, le couvercle tombant à terre, les étamines délivrées se disposaient en auréole ; de loin, dans le fouillis des feuilles coupantes, oblongues et retombées, cette blanche fleur sans pétales semblait une anémone de mer.