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c’était de devoir garder pour elle seule, et cacher à son père qu’elle vénérait, ce secret qu’elle avait surpris je ne sais comment et qui l’avait meurtrie — ce secret dont on jasait en ville, dont riaient les bonnes et qui se jouait de l’innocence et de l’insouciance de ses deux sœurs. Non, de tout cela je ne devais rien comprendre que plus tard ; mais je sentais que, dans ce petit être que déjà je chérissais, habitait une grande, une intolérable détresse, un chagrin tel que je n’aurais pas trop de tout mon amour, toute ma vie, pour l’en guérir. Que dirais-je de plus ?… J’avais erré jusqu’à ce jour à l’aventure ; je découvrais soudain la raison, le but et la dévotion de ma vie,

En apparence il n’y eut rien de changé. Je vais reprendre comme devant le récit des menus événements qui m’occupèrent ; il n’y eut de changé que ceci : qu’ils ne m’occupaient plus tout entier. Je cachais au profond de mon cœur le secret de ma destinée. Eût-elle été moins contredite et traversée, je n’écrirais pas ces mémoires.


C’est sur la Côte d’Azur que nous achevâmes de passer l’hiver. Anna nous