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Émile a bien changé ! — aussitôt m’était apparu le plissement douloureux de son front, l’expression inquiète et parfois harassée de son regard. Mon oncle n’était pas à Rouen ce jour-là.

Je montai sans bruit l’escalier sans lumière. Les chambres des enfants se trouvaient tout en haut ; au-dessous, la chambre de ma tante et celle de mon oncle ; au premier, la salle à manger et le salon, devant lesquels je passai. Je m’apprêtais à franchir d’un bond le second étage, mais la porte de la chambre de ma tante était grande ouverte ; la chambre était très éclairée et répandait de la lumière sur le palier. Je ne jetai qu’un rapide coup d’œil ; j’entrevis ma tante, étendue languissamment sur un sofa ; auprès d’elle Suzanne et Louise, penchées, l’éventaient et lui faisaient, je crois, respirer des sels. Je ne vis pas Emmanuèle, ou, plus exactement, une sorte d’instinct m’avertit qu’elle ne pouvait pas être là. Par peur d’être aperçu et retenu, je passai vite.

La chambre de ses sœurs, que je devais d’abord traverser, était obscure, ou du moins je n’avais pour me diriger que la