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je, et, sans en avoir l’air, je lui servis quelques grimaces de supplément, du bout des doigts trébuchant dans les boutonnières.

Quelqu’un qui ne prenait pas au sérieux ma maladie, c’était mon oncle ; et comme je ne savais pas encore qu’il ne prenait au sérieux les maladies de personne, j’étais vexé. J’étais extrêmement vexé, et résolus de vaincre cette indifférence en jouant gros. Ah ! quel souvenir misérable ! Comme je sauterais par dessus, si j’acceptais de rien omettre ! — Me voici dans l’anti-chambre de l’appartement, rue Salle L’Evêque ; mon oncle vient de sortir de sa bibliothèque et je sais qu’il va repasser ; je me glisse sous une console, et, quand il revient, j’attends d’abord quelques instants, si peut-être il m’apercevra de lui-même, car l’antichambre est vaste et mon oncle va lentement ; mais il tient à la main un journal qu’il lit tout en marchant ; encore un peu et il va passer outre… Je fais un mouvement ; je pousse un gémissement ; alors il s’arrête, soulève son lorgnon et de pardessus son journal : — Tiens ! Qu’est ce que tu fais là ? Je me crispe, me contracte, me tords et