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J’étais un peu tremblant du tour que prenait l’aventure ; ces vieux Messieurs, dont deux à barbe blanche, me retournaient dans tous les sens, m’auscultaient, puis parlaient entre eux à voix basse. Allaient-ils me percer à jour ? dire, l’un d’eux, M. Theulon à l’œil sévère :

— Une bonne fessée, Madame, voilà ce qui convient à cet enfant… ?

Mais non ; et plus ils m’examinent, plus semble les pénétrer le sentiment de l’authenticité de mon cas. Après tout, puis-je prétendre en savoir sur moi-même plus long que ces Messieurs ? En croyant les tromper, c’est sans doute moi que je trompe.

La séance est finie.

Je me rhabille. Theulon paternellement se penche, veut m’aider ; Boissier aussitôt l’arrête ; je surprends de lui à Theulon un petit geste, un clin d’œil, et suis averti qu’un regard malicieux, fixé sur moi, m’observe, veut m’observer encore, alors que je ne me sache plus observé, qu’il épie le mouvement de mes doigts, ce regard, tandis que je reboutonne ma veste. « Avec le petit vieux que voilà, s’il m’accompagne à Lamalou, il va falloir jouer serré », pensai-