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réveillais en sueur, mais c’était pour retrouver mon épouvante en songeant à ce que le docteur Leenhardt avait dit à ma mère : — dans peu de jours je pourrais rentrer au lycée — alors je sentais le cœur me manquer. Au demeurant ce que j’en dis n’est nullement pour excuser ce qui va suivre. Dans la maladie nerveuse qui succéda à ma variole, je laisse aux neurologues à démêler la part qu’y prit la complaisance.

Voici, je crois, comment cela commença : Au premier jour qu’on me permit de me lever, un certain vertige faisait chanceler ma démarche, comme il est naturel après trois semaines de lit. Si ce vertige était un peu plus fort, pensai-je, puis-je imaginer ce qui se passerait ? Oui, sans doute : ma tête, je la sentirais fuir en arrière ; mes genoux fléchiraient (j’étais dans le petit couloir qui menait de ma chambre à celle de ma mère) et soudain je croûlerais à la renverse. Oh ! me disais-je, imiter ce qu’on imagine ! Et tandis que j’imaginais, déjà je pressentais quelle détente, quel répit je goûterais à céder à l’invitation de mes nerfs. Un regard en arrière, pour m’assurer de l’endroit où ne pas me faire trop de mal en tombant…