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moi aussi je jouais avec ; mais c’était à les faire fondre. On les posait tout droits sur une pelle qu’on faisait chauffer ; alors on les voyait chanceler soudain sur leur base, piquer du nez, et bientôt s’échappait de leur uniforme terni une petite âme brillante, ardente et dépouillée… Je reviens au lycée de Montpellier :

Le régime de l’Ecole Alsacienne amendait celui du lycée ; mais ces améliorations, pour sages qu’elles fussent, tournaient à mon désavantage. Ainsi l’on m’avait appris à réciter à peu près décemment les vers, ce à quoi déjà m’invitait un goût naturel ; tandis qu’au lycée (du moins celui de Montpellier) l’usage était de réciter indifféremment vers ou prose d’une voix blanche, le plus vite possible et sur un ton qui enlevât au texte, je ne dis pas seulement tout attrait, mais tout sens même, de sorte que plus rien n’en demeurait qui motivât le mal qu’on s’était donné pour l’apprendre. Rien n’était plus affreux ; ni plus baroque ; on avait beau connaître le texte, on n’en reconnaissait plus rien ; on doutait si l’on entendait du français. Quand mon tour vint de réciter (je voudrais me rappeler quoi), je sentis