Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ants autant que les miens eussent été calmes et je me sentais pacifique autant qu’ils se montraient belliqueux. Non contents des tripotées au sortir des classes, ils ne parlaient que de canons, de poudre et de « pois fulminants ». C’était une invention que nous ne connaissions heureusement pas à Paris ; un peu de fulminate, un peu de fin gravier ou de sable, le tout enveloppé dans un papier à papillottes, et cela pétait ferme quand on le lançait sur le trottoir entre les jambes d’un passant. Aux premiers pois que les fils Leenhardt me donnèrent, je n’eus rien de plus pressé que de les noyer dans ma cuvette, sitôt rentré dans notre infect appartement. L’argent de poche qu’ils pouvaient avoir passait en achats de poudre dont ils bourraient jusqu’à la gueule des petits canons de cuivre ou d’acier qu’on venait de leur donner pour leurs étrennes et qui positivement me terrifiaient. Ces détonnations me tapaient sur les nerfs, m’étaient odieuses et je ne comprenais pas quelle sorte de plaisir infernal on y pouvait prendre. Ils organisaient des feux de file contre des armées de soldats de plomb. Moi aussi j’avais eu des soldats de plomb ;