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Celui sur lequel s’arrêta le choix de ma mère était dans une rue en dépente qui partait de la grand’place, à l’autre bout de l’Esplanade, en contre-bas de celle-ci, de sorte qu’elle n’avait de maisons que d’un côté. À mesure qu’elle descendait, s’éloignant de la grand’place, la rue se faisait plus sombre et plus sale. Notre maison était vers le milieu.

L’appartement était petit, laid, misérable ; son mobilier était sordide. Les fenêtres de la chambre de ma mère et de la pièce qui servait à la fois de salon et de salle à manger, donnaient sur l’Esplanade, c’est-à-dire que le regard butait sur le mur de soutènement. Ma chambre et celle de Marie prenaient jour sur un jardinet sans gazon, sans arbres, sans fleurs, et que l’on eût appelé cour, n’eussent été deux buissons sans feuilles sur lesquels la lessive de la propriétaire s’épanouissait hebdomadairement. Un mur bas séparait ce jardin d’une courette voisine, sur laquelle ouvraient d’autres fenêtres : il y avait là des cris, des chants, des odeurs d’huile, des langes qui séchaient, des tapis qu’on secouait, des pots de chambre qu’on vidait, des enfants qui