Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacés directement, Alors, selon notre coutume, repassant ensemble notre conduite, l’un l’autre nous nous interrogions, tâchant de reconnaître à qui le terrifiant Zeus en avait. Puis comme nous ne parvenions pas à nous découvrir de gros péchés récents, Suzanne s’écriait :

— C’est pour les bonnes !

Aussitôt nous piquions de l’avant, au galop, abandonnant ces pécheresses au feu du ciel.


Cette année 1881, ma douzième, ma mère qui s’inquiétait un peu du désordre de mes études et de mon désœuvrement à La Roque, fit venir un précepteur. Je ne sais trop qui put lui recommander M. Gallin. C’était un tout jeune gandin, un étudiant en théologie je crains bien, myope et niais, que les leçons qu’il donnait semblaient embêter encore plus que moi, ce qui n’était pourtant pas peu dire. Il m’accompagnait dans les bois, mais sans cacher qu’il ne goûtait pas la campagne. J’étais ravi quand une branche de coudre, au passage, faisait sauter son pince-nez. Il chantait du bout des lèvres, avec affectation, un air des