Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était une corvée. Entre Lionel et moi, l’intimité, qui devait devenir bientôt très étroite, ne s’était pas encore établie et je ne voyais alors en lui qu’un garçonnet turbulent, rageur, autoritaire, aux molets de cog, aux cheveux en poils de goupillon, toujours en nage, et ponceau dès qu’il s’agitait. Son sport favori consistait à s’emparer de mon beau chapeau de panama tout neuf et à le jeter dans une corbeille de dahlias où il était défendu d’entrer ; ou encore d’exciter contre nous « Mousse », un énorme terre-neuve, qui nous culbutait. Parfois des parentes plus agées étaient là ; alors c’était très gai : on jouait aux « barres anglaises » ; mais, après le goûter, quand on commençait de vraiment s’amuser, les bonnes nous appelaient : il était temps de rentrer. Je me souviens particulièrement d’un de ces retours :

Un orage épouvantable s’éleva presque subitement ; le ciel s’emplit de nuages violâtres ; on pressentait avec angoisse foudre, grêle, bourrasque et damnation. Nous pressions le pas pour rentrer. Mais l’orage gagnait sur nous ; il semblait nous poursuivre ; nous nous sentions visés, oui,