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raient d’un bout à l’autre des salles, le long de trois couloirs parallèles, entre les rayons vides ou pleins. Suzanne, Louise et moi, chacun sur un des wagonnets, nous organisions de pathétiques courses. Emmanuèle ne nous accompagnait pas dans le magasin, parce qu’il n’y avait que trois wagons, qu’elle n’aimait pas les aventures et surtout qu’elle n’était pas bien sûre que ce fût permis.

À côté de l’usine s’étalait la ferme, avec une basse-cour modèle et une grange immense où mon cousin Robert s’amusait à l’élevage d’une race particulière de lapins ; des fascines entassées suppléaient les terriers ; là je passais des heures assis ou couché sur la paille en l’absence de mes amies, à contempler les ébats de ce peuple fantasque.

Le jardin était resserré entre le mur bordant la route, et la rivière. Au centre une pièce d’eau dont l’exiguité contournée eût fait rêver Flaubert. Un ridicule joujou de pont de métal la traversait. Le fond du bassin était cimenté, et sur ce fond, semblables à des débris végétaux, quantité de larves de phryganes se traînaient dans