Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son deuil. Elle n’eut pas le cœur de me laisser chez Monsieur Vedel ; et c’est ainsi que commença pour moi cette vie irrégulière et désencadrée, cette éducation rompue à laquelle je ne devais que trop prendre goût.

C’est donc dans la maison de la rue de M…, chez mon oncle Henri Rondeaux, que nous passâmes cet hiver. M. Huart, un professeur qui donnait également des leçons à ma cousine Louise, vint me faire travailler un peu chaque jour. Il se servait, pour m’enseigner la géographie, de « cartes muettes », dont je devais repérer et inscrire tous les noms, repasser à l’encre les tracés discrets. L’effort de l’enfant était considérablement épargné ; grâce à quoi il ne retenait plus rien. Je ne me souviens que des doigts en spatule de M. Huart, extraordinairement plats, larges et carrés du bout, qu’il promenait sur ces cartes. Je reçus en cadeau de nouvel an, cet hiver, un appareil à copier ; je ne sais plus le nom de cette machine rudimentaire, qui n’était en somme qu’un plateau de métal couvert d’une substance gélatineuse, sur laquelle on appliquait d’abord la feuille