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cachait mon oncle ; les autres soirs il nous lisait à haute voix un interminable roman de Walter Scott.

Devant la maison, le grand cèdre est devenu énorme, dans les branches duquel nous nichions et passions des heures ; chacun de nous s’y était aménagé une chambre ; on se faisait de l’une à l’autre des visites, puis, du haut des branches, avec des nœuds coulants, des crochets, on pêchait ; Suzanne et moi nous montions tout en haut, et de la cîme on criait à ceux des régions inférieures : « On voit la mer ! On voit la mer ! » — En effet, quand le temps était clair, on apercevait la petite ligne d’argent qu’elle faisait à quinze kilomètres de là.

Non, rien de tout cela n’a changé, et je retrouve au fond de moi sans peine le petit enfant que j’étais. Mais il n’est ici d’aucun intérêt de remonter trop loin en arrière : lorsque Emmanuèle et Suzanne vinrent me retrouver à Paris au moment de la mort de mon père, les amusements de la première enfance déjà cédaient à d’autres jeux.

Ma mère se laissa persuader par la famille d’aller passer à Rouen les premiers temps