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pas plutôt par goût que par vertu, et si ce n’est pas en agissant différemment qu’elle se fût contrainte.

Suzanne avait le caractère hardi ; elle était prompte, irréfléchie ; le moindre jeu près d’elle aussitôt s’animait C’est avec elle que je jouais le plus volontiers, et avec Louise lorsque celle-ci ne boudait point, car elle était de caractère plus inégal et inquiet que ses deux sœurs.

Qu’ai-je besoin de raconter nos jeux ? Je ne pense pas qu’ils différassent beaucoup de ceux des autres enfants de notre âge, sinon peut-être par la passion que nous y apportions.

Mon oncle et ma tante habitaient avec leurs cinq enfants rue de Lecat. C’était une de ces tristes rues de province, sans magasins, sans animation d’aucune sorte, ni caractère, ni agrément. Avant de gagner le quai plus morne encore, elle passait devant l’Hôtel-Dieu, où avaient vécu les parents de Flaubert et où son frère Achille, à la suite de son père, avait travaillé.

La maison de mon oncle était aussi banale et maussade que la rue. J’en reparlerai plus tard. Je voyais mes cousines, sinon