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IV


Emmanuèle avait deux ans de plus que moi ; Suzanne n’était pas de beaucoup mon aînée ; Louise suivait de près. Quant à Édouard et Georges, qu’on appelait ensemble et comme pour s’en débarrasser à la fois : « les garçons », ils nous semblaient encore à peu près négligeables, à peine sortis du berceau. Emmanuèle était, à mon goût, trop tranquille. Elle ne se mêlait plus à nos jeux sitôt qu’ils cessaient d’être « honnêtes » et même dès qu’ils devenaient bruyants. Elle s’isolait alors avec un livre ; l’on eût dit qu’elle désertait ; aucun appel ne l’atteignait plus ; le monde extérieur cessait pour elle d’exister ; elle perdait la notion du lieu au point qu’il lui arrivait de tomber tout à coup de sa chaise. Elle ne querellait jamais ; il lui était si naturel de céder aux autres son tour ou sa place, ou sa part, et toujours avec une grâce si souriante, qu’on doutait si elle ne le faisait