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route j’appris tout. Mais mon chagrin n’éclata que lorsque je vis ma mère en grand deuil. Elle ne pleurait pas ; elle se contenait devant moi ; mais je sentais qu’elle avait beaucoup pleuré. Je sanglotai dans ses bras. Elle craignait pour moi un ébranlement nerveux trop fort et voulut me faire prendre un peu de thé. J’étais sur ses genoux ; elle tenait la tasse, en levait une cuillerée qu’elle me tendait, et je me souviens qu’elle disait, en prenant sur elle de sourire :

— Voyons ! celle-ci va-t-elle arriver à bon port ?

Et je me sentis soudain tout enveloppé par cet amour, qui désormais se refermait sur moi.

Quant à la perte que j’avais faite, comment l’eussé-je réalisée ? Je parlerais de mes regrets, mais hélas ! j’étais surtout sensible à l’espèce de prestige dont ce deuil me revêtait aux yeux de mes camarades. Songez donc ! Chacun d’eux m’avait écrit, tout comme avait fait chacun des collègues de mon père après qu’il avait été décoré ! Puis j’appris que mes cousines allaient venir ! Ma mère avait décidé que je n’assis-