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prenions notre récréation après les repas, il se campa tout au milieu, le torse glorieusement rejeté en arrière et, sous nos yeux à tous, en hauteur, il pissa. Nous étions consternés par son cynisme.

Ce petit jardin fut le théâtre d’un pugilat. À l’ordinaire j’étais calme, plutôt trop doux et je detestais les peignées, convaincu sans doute que j’y aurais toujours le dessous. Je gardais cuisant encore le souvenir d’une aventure qu’il faut que je raconte ici : En rentrant de l’Ecole à travers le Luxembourg et passant, contrairement à mon habitude, par la grille en face du petit jardin, ce qui ne me déroutait pas beaucoup, j’avais croisé un groupe d’élèves, de l’Ecole Communale sans doute, pour qui les élèves de l’Ecole Alsacienne représentaient de haïssables aristos. Ils étaient à peu près de mon âge, mais sensiblement plus costaux. Je surpris au passage des ricanements, des regards narquois ou chargés de fiel, et continuais ma route du plus digne que je pouvais ; mais voici que le plus gaillard se détache du groupe et vient à moi. Mon sang tombait dans mes talons. Il se met devant moi. Je balbutie :