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Sitôt entré dans la salle de bal, je pus constater que les « petits pâtissiers » étaient au nombre d’une vingtaine ; on aurait dit un pensionnat. La casserole trop grande me gênait beaucoup ; j’en étais empêtré ; et pour achever ma confusion, voici que, tout à coup, je tombai amoureux, oui, positivement amoureux d’un garçonnet un peu plus âgé que moi, qui devait me laisser un souvenir ébloui de sa sveltesse, de sa grâce et de sa volubilité.

Il était costumé en diablotin, ou en clown, c’est-à-dire qu’un maillot noir pailleté d’acier moulait exactement son corps gracile. Tandis qu’on se pressait pour le voir, lui sautait, cabriolait, faisait mille tours, comme ivre de succès et de joie ; il avait l’air d’un sylphe ; je ne pouvais déprendre de lui mes regards. J’eusse voulu attirer les siens, et tout à la fois je les craignais, à cause de mon accoutrement ridicule ; et je me sentais laid, misérable. Entre deux pirouettes, il souffla, s’approcha d’une dame qui devait être sa mère, lui demanda un mouchoir et, pour s’éponger, car il était en nage, souleva le serre-tête noir qui fixait sur son front deux petites cornes de che-