me renseigner, et je gardai secrète une des premières et des plus vives tristesses de ma vie.
Ma mère prenait grand soin que rien,
dans les dépenses qu’elle faisait pour moi,
ne me vînt avertir que notre situation de
fortune était sensiblement supérieure à celle
des Jardinier. Mes vêtements, en tout
point pareils à ceux de Julien, venaient
comme les siens de la Belle Jardinière.
J’étais extrêmement sensible à l’habit, et
souffrais beaucoup d’être toujours hideusement
fagoté. En costume marin avec un
béret, ou bien en complet de velours, j’eusse
été aux anges ! Mais le genre « marin » non
plus que le velours ne plaisait à Madame
Jardinier. Je portais donc de petits vestons
étriqués, des pantalons courts, serrés aux
genoux et des chaussettes à raies ; chaussettes
trop courtes, qui formaient tulipe et
retombaient désolément, ou rentraient se
cacher dans les chaussures. J’ai gardé pour
la fin le plus horrible : c’était la chemise
empesée. Il m’a fallu attendre d’être presque
un homme déjà pour obtenir qu’on ne
m’empesât plus mes devants de chemise.