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nous la connaissions, sa tortue. N’empêche que, tout en pouffant, nous faisions mine de chercher ; on se bousculait un peu pour mieux voir. Dubled s’obstinait à ne distinguer que deux dents ; mais c’était un farceur. Le grand Wenz, les yeux fixés sur la bête, comptait à haute voix sans arrêter, et ce n’est que lorsqu’il dépassait soixante que Monsieur Brunig l’arrêtait avec ce bon rire spécial de celui qui sait se mettre à la portée des enfants, et, citant La Fontaine :

— « Vous n’en approchez point. » Plus vous en trouvez, plus vous êtes loin de compte. Il vaut mieux que je vous arrête. Je vais beaucoup vous étonner. Ce que vous prenez pour des dents ne sont que des petites protubérances cartilagineuses. La tortue n’a pas de dents du tout. La tortue est comme les oiseaux : elle a un bec.

Alors tous nous faisions : — Oooh ! par bienséance.


J’ai assisté trois fois à cette comédie. Nos parents, à Julien et à moi, donnaient deux sous à chacun, ces jours de sortie. Ils avaient discuté ensemble ; Maman n’aurait pas consenti à me donner plus que Madame