musique était leur seul terrain d’entente ; partout ailleurs ils s’opposaient. À chaque défaut du père Dorval correspondait, dans le caractère d’Albert, un relief. Celui-ci était aussi droit, aussi franc, que l’autre était retors et papelard ; aussi généreux que l’autre cupide ; et tout ainsi ; mais par bonté, par indiscipline, Albert savait mal se conduire dans la vie ; il soignait peu ses propres intérêts et, souvent, ce qu’il entreprenait tournait à son désavantage, de sorte que, dans la famille, on ne le prenait pas tout à fait au sérieux. Monsieur Dorval l’appelait toujours « ce gros Bert », avec une indulgence protectrice où perçait un peu de pitié. Albert, lui, admirait le talent de Monsieur Dorval ; quant à l’homme, il le méprisait. Plus tard il me raconta qu’un jour il avait surpris Dorval embrassant Anna. Il avait d’abord feint de ne rien voir, par respect pour Anna ; mais dès qu’il s’était retrouvé seul avec Dorval :
— Qu’est-ce que tu t’es permis, tout à l’heure ?…
Cela se passait dans le salon de la rue de M…. Albert était très grand et très fort ;