elle-même se dérober, par une pluie de menues épigrammes dont elle tentait de le larder, mais qu’elle appointait et dirigeait assez mal, de sorte que lui ne faisait que s’en amuser. Longtemps après qu’il était devenu presque aveugle, elle mettait encore en doute, ainsi que beaucoup d’autres, cette nuit envahissante ; ou du moins accusait Monsieur Dorval d’en jouer, et de n’être « pas si aveugle que ça ». Elle le trouvait obséquieux, entrant, retors, intéressé, féroce ; il était un peu tout cela ; mais il était musicien. Parfois, aux repas, son regard, à demi voilé déjà derrière ses lunettes, se perdait ; ses puissantes mains, posées, comme sur un clavier, sur la table, s’agitaient ; et quand on lui parlait, revenant à vous soudain, il répondait :
— Pardon ! J’étais en mi bémol.
Mon cousin Albert Démarest — pour qui je ressentais déjà une sympathie des plus vives, malgré qu’il eût vingt ans de plus que moi — s’était particulièrement lié avec celui qu‘il appelait cordialement : le père Dorval. Albert, seul artiste de la famille, aimait passionnément la musique et jouait lui-même fort agréablement du piano ; la