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de mon père ; celle de ma chambre ouvrait sur une grande cour. Je me souviens surtout du vestibule, parce que je m’y tenais le plus souvent, lorsque je n’étais pas à l’école ou dans ma chambre, et que maman, lasse de me voir tourner auprès d’elle, me conseillait d’aller jouer « avec mon ami Pierre », c’est-à-dire tout seul. Le tapis bariolé de ce vestibule présentait de grands dessins géométriques, parmi lesquels il était on ne peut plus amusant de jouer aux billes avec le fameux ami Pierre.

Un petit sac de filet contenait les plus belles billes, qu’une à une l’on m’avait données et que je ne mêlais pas aux vulgaires. Il en était que je ne pouvais manier sans être à neuf ravi par leur beauté : une petite, en particulier, d’agathe noire avec un équateur et des tropiques blancs ; une autre, translucide, en cornaline, couleur d’écaille claire, dont je me servais pour caler. Et puis, dans un gros sac de toile, tout un peuple de billes grises qu’on gagnait, qu’on perdait, et qui servaient d’enjeu lorsque, plus tard, je pus trouver de vrais camarades avec qui jouer.

Un autre jeu dont je raffolais, c’est cet